Mère Emmanuelle est mère abbesse de l’abbaye de Boulaur depuis 2013. Elle est également membre du comité de pilotage de l’Institut Talenthéo, une formation au gouvernement et à la relation pour les personnes en responsabilité communautaire. La communauté cistercienne de Boulaur, avec plus de 30 sœurs et une moyenne d’âge de 40 ans, marque ses visiteurs par son dynamisme et sa joie de vivre.
Quel est votre rôle en tant que mère abbesse d'une communauté ?
Mon rôle, qui est pour moi un vrai défi, est de tenir dans un juste équilibre la partie spirituelle et la partie matérielle de la vie de la communauté. Sur la partie spirituelle, je dois veiller à ce que chaque sœur puisse vivre la vie monastique à laquelle elle a été appelée avec toutes les activités qu’elle comporte : prière, offices, lectio divina, oraison, vie fraternelle et de travail… Le besoin d'équilibre de la vie monastique peut entrer en tension avec la partie économique. Il nous faut payer l'ensemble des charges fixes et courantes de la communauté et procéder à diverses mises aux normes. Tout cet aspect administratif demande de l’expertise et représente une part importante en temps et en soucis.
La qualité de la vie spirituelle de mes sœurs est ma mission principale et aussi ma principale préoccupation. Il me paraît essentiel de veiller à ce qu'elles restent unies au Seigneur et qu'elles aient bien tout ce dont elles ont besoin pour y parvenir.
Qu’avez-vous mis en place pour accompagner au mieux vos sœurs ?
Prioriser le spirituel et déléguer le matériel
La qualité de la vie spirituelle de mes sœurs est ma mission principale et aussi ma principale préoccupation. Il me paraît essentiel de veiller à ce qu'elles restent unies au Seigneur et qu'elles aient bien tout ce dont elles ont besoin pour y parvenir. J'ai priorisé en termes de disponibilité la vie spirituelle et l'accompagnement de mes sœurs. Pour cela, j'ai délégué au maximum, auprès de plusieurs sœurs, différentes parties administratives tout en restant présente pour elles. Nous nous sommes également entourées d'une équipe d'experts sur le plan comptable, fiscal, des normes, d'aide à la maîtrise d'ouvrage ... Pour nous permettre de vivre sereinement notre vie monastique.
Repenser le modèle économique
Il y a maintenant plusieurs années, on a vraiment pris le temps en communauté de réétudier tout notre équilibre économique pour que l'activité économique soit en cohérence profonde avec notre vie monastique tout en dégageant les bénéfices dont nous avons besoin pour vivre. Nous nous devons d'affronter cette partie temporelle avec sérieux et compétence.
L'importance de se former à la question des relations et du gouvernement me paraît indispensable. Certes on a une grâce d'état et c'est très important mais la grâce vient sur la nature et il nous faut former la nature. On a besoin d'apprendre à être dans des relations justes les uns avec les autres.
Miser sur la formation
Pour l'accompagnement de mes sœurs, je ne reste pas seule non plus. Je fais appel à des soutiens extérieurs, par exemple des sessions de formation à l'accompagnement spirituel, des cours organisés par l'ordre cistercien, et à de la formation. Dans deux ans, nous aurons 5 sœurs qui auront terminé les deux années de formation de l'Institut Talenthéo.
L'importance de se former à la question des relations et du gouvernement me paraît indispensable. Certes on a une grâce d'état et c'est très important mais la grâce vient sur la nature et il nous faut former la nature. On a besoin d'apprendre à être dans des relations justes les uns avec les autres. Cet aspect est maintenant acquis dans l'Eglise et la vie religieuse, ce qui est précieux. Ça me réjouit beaucoup de voir des supérieurs qui travaillent ensemble ces questions, les échanges sont très riches et plein d'espérance pour l'avenir de la vie consacrée et monastique en France en particulier.
Favoriser le dialogue communautaire
Il y a quelques années maintenant, notre abbé général, qui nous visite tous les trois ans, nous a vivement encouragées à apprendre à mieux dialoguer en communauté. Nous avons donc commencé par aborder en chapitre des sujets plutôt neutres, pour s'entraîner à parler en communauté. Puis nous avons fait des réunions communautaires en deux temps avec un premier temps d'écoute où l’on se passe la parole et où personne ne réagit à ce que dit celle qui parle et un deuxième temps où l'on discute pour permettre à chacune d'exprimer un avis.
Un processus de discernement communautaire
Pour entrer dans un vrai discernement communautaire c'est à dire un mouvement qui va aboutir à une prise de décision, il nous a fallu travailler sur trois points principaux :
- la capacité d'écoute, en ne coupant pas la parole
- la capacité à exprimer un avis devant la communauté, ce qui n'est pas si simple et s'apprend quitte à reformuler ou passer par l'écrit pour s'assurer que toute la communauté a bien perçu le message
- la capacité à se laisser transformer par ce qui va être dit et vécu.
Ce processus prend du temps. Au début, nous nous sommes exercées pour le mettre en place jusqu'à ce qu’il se fasse de manière de plus en plus fluide, apaisée et efficace. Il y a aujourd'hui une vraie joie à procéder de cette manière-là. Lorsque nous arrivons à un chapitre, nous ne savons pas ce que le Seigneur va faire de ce temps où nous allons nous réunir, cela va être la surprise. Je suis personnellement extrêmement touchée par ces temps communautaires qui me remplissent d'action de grâce. A la fin d'un chapitre on peut ne pas être toutes d'accord mais il y a quelque chose qui s'est fait et que nous reconnaissons comme l'œuvre du Seigneur.
Pour les prises de décision importantes telles qu'une fondation ou une orientation économique, on perçoit dans le dialogue communautaire quand la communauté est mûre pour voter. Nous procédons ensuite par vote en général 24h plus tard. On ne vote jamais à l'issue d'une discussion pour laisser le temps à chacune de se laisser déplacer intérieurement en relisant, priant et intégrant ce qui a été dit. Les votes peuvent être consultatifs ou aboutir à une décision communautaire.
Pour les décisions à plus faible impact communautaire, on ne vote pas nécessairement à la fin mais je fais une synthèse communautaire de nos échanges et je vois si tout le monde est d'accord avec cette synthèse qui deviendra la décision.
L'ensemble des contacts que j'ai avec des experts qui m'apportent leurs lumières et sur lesquels je peux m'appuyer me sécurisent et m’apaisent car ils vont me permettre de mieux comprendre certaines situations et d'accompagner mes sœurs avec plus de justesse. Voir mes sœurs heureuses et la vie qui jaillit me ressource également beaucoup !
Quels sont vos lieux de ressourcement ?
La communauté elle-même est un premier lieu de soutien fraternel et d'écoute, c'est aussi un lieu de parole et d'accompagnement. On s'édifie mutuellement en marchant les unes avec les autres. Les offices, les temps de prière en silence et de contact avec la nature sont pour moi un vrai lieu de ressourcement. Les liens d’amitié créés avec d'autres supérieurs monastiques notamment dans le cadre de l’Institut Talenthéo sont très importants pour moi. L'ensemble des contacts que j'ai avec des experts qui m'apportent leurs lumières et sur lesquels je peux m'appuyer me sécurisent et m’apaisent car ils vont me permettre de mieux comprendre certaines situations et d'accompagner mes sœurs avec plus de justesse. Voir mes sœurs heureuses et la vie qui jaillit me ressource également beaucoup !
Pour en savoir plus :
Sur la communauté de Boulaur :
Sur l'Institut Talenthéo :
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