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Et si une attention aux charismes changeait nos paroisses ?

Dernière mise à jour : il y a 23 heures

Le père Étienne Grenet, prêtre du diocèse de Paris et directeur du pôle mission, a découvert à travers son expérience d’évangélisation de rue combien les charismes sont au service de la mission. Il propose aujourd’hui une formation sur ce sujet, l’École française de vie dans l’Esprit. Le père Régis Peillon est quant à lui curé de la paroisse Notre-Dame des Rencontres, une communauté de 14 clochers répartis sur cinq communes entre Monaco et l’Italie.


Quels obstacles freinent aujourd’hui le renouvellement des pratiques dans nos communautés paroissiales et, en quoi une meilleure reconnaissance des charismes pourrait-elle ouvrir des chemins nouveaux ?


P. RP - Un des freins consiste à croire que toutes nos attentes humaines et spirituelles seront comblées. Or, il nous faut accepter une part d’insatisfaction et entrer dans une pastorale de l’ordre de : « Ma force se déploie dans ta faiblesse et ma grâce te suffit. » Nous sommes appelés à transmettre une fécondité spirituelle, celle de l’Esprit Saint qui agit et soutient au cœur même de la faiblesse, alors que toutes les conditions ne sont pas réunies. Puisque tout ne peut être satisfait, ni dans mon ministère, ni pour les fidèles, il s’agit d’accompagner ceux qui restent insatisfaits et d’apprendre à accueillir l’existence d’oppositions. En tant que pasteurs, nous sommes donc invités à une conversion personnelle face à nos propres attentes pastorales qui, elles non plus, ne seront jamais totalement satisfaites. La mission ne se mesure pas seulement à l’augmentation numérique du peuple de Dieu, mais surtout à la qualité de la rencontre communautaire avec le Christ vivant au cœur de l’Église.


P. EG - Dans bien des paroisses, l’envie de « faire autrement » se heurte à une question simple : par où commencer ? Un curé me confiait récemment : « Je ne sais pas par quel bout introduire ça dans ma paroisse. Les charismes, je ne maîtrise pas. » Les charismes restent souvent associés, à tort, à certaines images un peu caricaturales du Renouveau charismatique. Cette vision quelque peu réductrice, ajoutée à une méconnaissance générale du sujet, explique pourquoi peu de personnes osent s’y sentir légitimes. Une des clés dans la conduite d’un changement paroissial est l’implication des laïcs. L’attention aux charismes développe une sensibilité à la complémentarité entre les personnes. Elle renouvelle le regard porté sur les autres et sur la spécificité que chacun peut apporter à l’Église. Elle invite les prêtres à encourager et discerner les dons de chacun, en sortant d’une posture centralisatrice pour vivre une expérience plus collaborative.


"L’attention aux charismes développe une sensibilité à la complémentarité entre les personnes. Elle renouvelle le regard porté sur les autres et sur la spécificité que chacun peut apporter à l’Église. "

Comment discerner les charismes présents dans une communauté paroissiale pour qu’ils deviennent une force au service de la croissance communautaire ?


P. EG - De par notre baptême, nous recevons des dons qui ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Certaines choses ont été reçues en commun, d’autres sont des dons personnels appelés à être mis au service de l’ensemble. Tout d’abord, pour que cette prise de conscience ait lieu en chacun, elle doit provenir de la catéchèse et de la prédication. Il faut prêcher sur les charismes, pour faire prendre conscience au plus grand nombre de ce que c'est et que nous en avons tous. Chaque baptisé a un don particulier pour la croissance du corps et s’il ne l'active pas, le voisin n’aura pas forcément le même. Ensuite, il y a un enjeu de formation des responsables de groupes pour leur apprendre à discerner dans leur équipe ce que les gens portent. 


On ne découvre pas les charismes simplement en observant les gens à la messe : il faut leur donner des espaces d’expression et repérer les fruits produits, puis les inviter à réexercer ces dons dans d’autres contextes pour les confirmer. Cela suppose une vraie culture de l’audace, où l’on met les personnes en situation de tester différentes missions, même si cela implique parfois de déplacer quelqu’un déjà en poste vers un service qui correspond mieux à son charisme.


P. RP - Il n’est pas toujours possible de discerner tous les charismes présents dans une communauté, et pourtant l’Esprit Saint agit souvent en amont, indépendamment de l’organisation pastorale. On le voit dans des soignants à l’hôpital par exemple, qui par leur présence, transmettent quelque chose de la grâce de Dieu auprès des malades tout en restant dans leur rôle, ou dans des fidèles qui, simplement en vivant leur foi au quotidien, exercent un charisme spontané sans mission officielle. Cette fécondité est un préalable à toute structure hiérarchique et échappe au contrôle du pasteur, dont la mission est alors d’accueillir humblement ces émergences.


Certaines responsabilités bien spécifiques exigent du curé un discernement particulier sur les charismes des personnes, en raison de leur visibilité et de leur impact : préparation au mariage, préparation au baptême, accueil paroissial, etc. Pour autant, la première attitude consiste à accueillir l’émergence spontanée des charismes, même si cela n’est pas toujours simple. Avant tout discernement, il s’agit d’adopter une posture de réception humble, en reconnaissant que le don vient de l’Esprit Saint qui précède et agit, afin d’éviter de se croire soi-même à l’origine.

"Le discernement des charismes sur des missions principales demande une démarche à la fois personnelle et communautaire, en lien avec l’EAP et les autres prêtres. Le pasteur doit apprendre à distinguer l’essentiel et se laisser parfois bousculer par les propositions des baptisés."

Comment articuler l’autorité du prêtre et la responsabilité des fidèles pour que l’introduction de nouvelles pratiques s’enracine dans une véritable coresponsabilité ecclésiale ?


P. EG - La question des charismes oblige à une certaine délégation, ce qui est une chose assez nouvelle. Nous pouvons discerner les charismes des personnes que nous côtoyons mais au-delà de ce cercle, notre capacité sera limitée. Ceci pousse à déléguer auprès de gens qui vont assumer une part de cette responsabilité pastorale de conduite et de discernement des charismes chez les autres. Il nous faut également accepter d’être en situation d’expérimentation et de défrichage concernant les charismes. 


P. RP - Le discernement des charismes sur des missions principales demande une démarche à la fois personnelle et communautaire, en lien avec l’EAP et les autres prêtres. Le pasteur doit apprendre à distinguer l’essentiel et se laisser parfois bousculer par les propositions des baptisés. Il doit accepter que tout ne se fasse pas comme il le souhaiterait ni au rythme qu’il imaginerait. Cela suppose de privilégier certains lieux ou équipes, de reconnaître les charismes propres des prêtres et des laïcs engagés, et d’accepter une articulation progressive où l’accompagnement pastoral ne peut pas être partout présent de la même manière. Comme curé, ceci pose une vraie question de discernement de là où on est présent, de comment on s'engage et de qui on accompagne.


Avoir une vision pastorale établie guide les décisions et oriente les lieux d’accompagnement où la présence du curé sera nécessaire, c'est-à-dire là où les avancées sont fragiles et moins là où les projets tournent bien. Différents espaces de concertation existent (équipe salariée, EAP, veilleurs de communautés), mais au-delà de l’organisation, il s’agit d’accueillir le souffle de l’Esprit à travers les baptisés qui se présentent. Je souhaite prioriser l’accueil des personnes en souffrance qui frappent à la porte de l’Église. Le discernement doit distinguer le vrai charisme de la simple prise de pouvoir, éviter le cléricalisme, et accepter que certaines missions puissent s’arrêter ou rester vacantes plutôt que d’être confiées et que cela soit contre productif.


Quelques clés pour discerner l’authenticité d’un charisme.


  • Disproportion des fruits : un petit geste produit un effet inattendu et durable chez l’autre (accueil, écoute, parole simple).

  • Récurrence : si ce fruit se répète régulièrement, cela peut indiquer un charisme.

  • Évaluation par les fruits : un charisme se reconnaît à ce qu’il produit dans la vie de la personne et de la communauté.

  • Humilité et discernement : rester dans une attitude de dépôt devant Dieu, accepter de se dessaisir de ce don.

  • Ne pas rester seul : partager et confronter son expérience pour éviter l’isolement, l’orgueil ou la tentation de pouvoir.



Pour aller plus loin :


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